10 octobre 2009
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Propos sur la monarchie khmère : Les règles de succession au trône.
Jean IMBERT, ancien Doyen de la faculté de droit et des Sciences Economiques de Phnom-Penh, a écrit en 1961 dans son livre « Histoire des institutions khmères » : « En l’absence de textes constitutionnels précis fixant les règles de succession au trône, nous sommes obligés de considérer quelles furent les pratiques habituelles, pour tirer une règle générale. Malheureusement, l’interprétation des pratiques successorales pendant toute notre période suscite des difficultés et a donné lieu à deux thèses qui paraissent de prime abord absolument opposées ».
Thèse de Madame Porée-Maspéro :
Le droit au trône se transmet par les femmes : « Ce principe explique pourquoi tant de rois du Cambodge étaient frère, neveu, genre ou beau-frère de leur prédécesseur, et une meilleure connaissance nous monterait que, dans le cas où un fils aurait succédé à son père, c’est qu’ils tenaient tous deux leurs droits de la même femme, épouse et mère ».
Thèse de Monsieur G.Coedès :
M. Coedès critique vigoureusement la thèse de Madame Porée-Maspéro et affirme que « dans plus de la moitié des cas, la succession peut-être considérée comme satisfaisant à la règle de succession masculine par ordre de primogéniture ». Il explique : « En face de 14 cas de succession en ligne masculine, on a 8 cas de types fort différents les uns des autres, qui n’ont de commun que le rôle de la filiation en ligne féminine. Et, sur ces 8 rois, 5 ont obtenu le pouvoir royal, soit dans des circonstances troubles, soit de façon violente, ce qui semble indiquer que leur filiation ne leur conférait pas de droits incontestables ».
La monarchie élective ?
Jean IMBERT a signalé en outre dans son livre qu’à partir du XVe siècle se répand une coutume qui jouera par la suite un rôle primordial dans les règles de succession au trône. Profitant sans doute de l’affaiblissement du pouvoir royal consécutif aux invasions siamoises, les ministres du royaume vont intervenir dans la désignation du souverain. Trois cas à noter :
« En l’an 1401, les ministres écartent Barommo-Soccarach, fils du roi défunt, pour mettre à sa place son cousin Srey-Soriyovong, fils d’un précédent roi, auquel succède Samdech Chao Ponhea dont l’identification est incertaine.
En 1477, en 1505, c’est encore sur l’intervention et par l’élection des ministres que le descendant légitime sera écarté au profit d’un autre membre de la famille ».
Note : Document de la pagode Kompong Tralach Krom (KTK): Barommo-Soccarach (Borom Rama dans KTK), fils du roi défunt Lompong Reachea. Srey Soriyovong, (Preah Soryauvong dans KTK). Celui-ci avait libéré le pays de l’occupation siamoise. Il se proclama Roi pendant la guerre de libération et après la victoire, il fut à nouveau proclamé Roi par le Conseil de la Couronne. Son ascension au trône fut dans une circonstance trouble (thèse de M.G.Coedès). (Je renvoie les lecteurs à mes trois articles n° 3 et n°5 sur l’histoire des Rois Khmers et la monarchie ancienne khmère).
Ces cas, qui semble avoir l’exception aux règles de succession au trône, serviront cependant à justifier la règle postérieure d’un véritable droit au trône, droit qui n’est jamais établi de façon certaine.
Profitant de l’absence de textes précis fixant les règles de succession au trône, en 1906, le protectorat français procéda, après la mort du roi Norodom, à l’élection par le Grand Conseil du prince Sisowath, frère du roi défunt, pour empêcher le prince Yukanthor, héritier présomptif à la couronne, de prendre la succession de son père. Cette pratique avait la raison suivante : « Le prince Yukanthor avait osé venir en France pour se plaindre du colonisateur et cette protestation aurait révélé certains procédés abusifs de l’Administration coloniale française et certains fonctionnaires khmers au service du protectorat, tels que Oum et Thiuoun. Il est intéressant de citer les doléances du prince Yukanthor dans son mémoire adressé à Monsieur le Président du Conseil des Ministres et aux membres du gouvernement de la République française :
Cas de Oum :
« …Et aujourd’hui S.M. mon père et moi, nous sommes traités en ennemis par les représentants de la France. Et leur appui politique, ces représentants le cherchent auprès de lâches comme Oum ! de lâches qui sont en même temps des voleurs… ». « …Voilà ce que produit la puissance que votre administration directe, sans le Roi, contre le Roi, donne à des gens comme Oum, augmentation des impôts, augmentation des corvées, diminution de la sécurité, vexations de toutes sortes… ».
Cas de Thioun (alors l’interprète de la Résident supérieur) :
« …Ce métis (Vietnamien), appointé à quelques centaines de dollars, a gagné en quelques années une fortune qui lui permet de posséder au grand soleil pour plus de cent mille francs d’immeubles. Il a son tant pour cent sur toutes les opérations de Oum… et d’autres ».
En 1941, en raison de la préservation de sa puissance coloniale au Cambodge après sa défaite dans la guerre contre l’Allemagne hitlérienne, la France de Vichy, avaient utilisé de servir pour la deuxième fois les règles de succession sans textes pour écarter du trône le prince héritier, Sisowath Monireth, fils du roi défunt Monivong, pour mettre à sa place un jeune prince âgé de 19 ans, Norodom Sihanouk, né de la conjonction de sang de la branche de Norodom et celle de Sisowath. Cette alliance de sang était servi par la France comme argument pour justifier sans doute son choix. Mais la réalité est autrement : le prince Monireth était à l’époque plus mûr, instruit, réfléchi et savait peut-être profiter de l’affaiblissement de la France pour revendiquer l’indépendance pour son pays. En effet, l’élection de Sihanouk comme roi par le Conseil de la couronne, le 23 avril 1941 et couronné le 28 Octobre de la même année n’était que le diktat de l’autorité coloniale aux membres du Conseil de la couronne.
Le retour de la France au Cambodge en 1946 avec sa nouvelle doctrine coloniale (doctrine fondée, sur le principe d’association au lieu d’exploitation exprimée et d’assimilation politique et administrative pratiquée dans le Continent d’Afrique noire) avait obligé le Roi Sihanouk à octroyer le 6 Mai 1947 une Constitution au peuple khmer. Les articles 26 et 27 de cette constitution nous montrent bien que la France, en tant qu’État associé au royaume du Cambodge était très prudente en matière de règles de succession au trône, car elle reconnaît explicitement le droit légitime du roi khmer de désigner son héritier à la couronne. L’élection interviendra au cas où il y aurait absence de désignation d’un prince héritier par le souverain défunt. Voici les textes :
La constitution du 6 Mai 1947 (Titre IV – du Roi) :
Article 26 : Le Roi a le pouvoir, après réunion du Conseil de la couronne, de désigner un héritier au Trône ainsi que d’annuler cette désignation.
Article 27 : Au cas, où, alors d’une vacance du Trône, un héritier n’aurait pas ainsi été désigné par le ROI, la désignation du nouveau Souverain est effectuée par le Conseil de la Couronne à la majorité des voix, celle du Président étant prépondérante en cas de partage.
Article 28 : Le Conseil de la Couronne comprend : le Président du Conseil de la famille Royale, le Président du conseil des Ministres, le Président de l’Assemblée Nationale, le Président du Conseil du Royaume, les deux Chefs des sectes religieuses, le Président de la Haute Cour de Justice. La présidence de ce Conseil est confiée au Président du Conseil de la famille Royale.
Article 29 : La majorité du Roi est fixée à 18 ans. Si le Roi est mineur ou dans l’incapacité d’exercer ses prérogatives, celle-ci sera exercées par un Régent.
La constitution de 1993, laquelle est vue comme une perfection et une grande victoire pour les monarchistes, ramène en réalité la monarchie khmère à état insignifiant qu’elle n’a jamais connu dans son histoire et par rapport aux autres monarchies constitutionnelles existant actuellement dans le monde. Les articles 10 à 13 relatifs aux règles de succession révèlent bien cet état :
« La royauté est élective. Le Roi n’a pas le pouvoir de désigner son successeur parmi les membres de sa famille. Dans un délai de 7 jours au plus, le nouveau Roi est élu par le Conseil du Trône. La Roi est choisi dans la famille royale, parmi les descendants du Roi Ang Duong, Norodom ou Sisowath. La majorité du Roi est fixée à 30 ans.
Jean IMBERT, ancien Doyen de la faculté de droit et des Sciences Economiques de Phnom-Penh, a écrit en 1961 dans son livre « Histoire des institutions khmères » : « En l’absence de textes constitutionnels précis fixant les règles de succession au trône, nous sommes obligés de considérer quelles furent les pratiques habituelles, pour tirer une règle générale. Malheureusement, l’interprétation des pratiques successorales pendant toute notre période suscite des difficultés et a donné lieu à deux thèses qui paraissent de prime abord absolument opposées ».
Thèse de Madame Porée-Maspéro :
Le droit au trône se transmet par les femmes : « Ce principe explique pourquoi tant de rois du Cambodge étaient frère, neveu, genre ou beau-frère de leur prédécesseur, et une meilleure connaissance nous monterait que, dans le cas où un fils aurait succédé à son père, c’est qu’ils tenaient tous deux leurs droits de la même femme, épouse et mère ».
Thèse de Monsieur G.Coedès :
M. Coedès critique vigoureusement la thèse de Madame Porée-Maspéro et affirme que « dans plus de la moitié des cas, la succession peut-être considérée comme satisfaisant à la règle de succession masculine par ordre de primogéniture ». Il explique : « En face de 14 cas de succession en ligne masculine, on a 8 cas de types fort différents les uns des autres, qui n’ont de commun que le rôle de la filiation en ligne féminine. Et, sur ces 8 rois, 5 ont obtenu le pouvoir royal, soit dans des circonstances troubles, soit de façon violente, ce qui semble indiquer que leur filiation ne leur conférait pas de droits incontestables ».
La monarchie élective ?
Jean IMBERT a signalé en outre dans son livre qu’à partir du XVe siècle se répand une coutume qui jouera par la suite un rôle primordial dans les règles de succession au trône. Profitant sans doute de l’affaiblissement du pouvoir royal consécutif aux invasions siamoises, les ministres du royaume vont intervenir dans la désignation du souverain. Trois cas à noter :
« En l’an 1401, les ministres écartent Barommo-Soccarach, fils du roi défunt, pour mettre à sa place son cousin Srey-Soriyovong, fils d’un précédent roi, auquel succède Samdech Chao Ponhea dont l’identification est incertaine.
En 1477, en 1505, c’est encore sur l’intervention et par l’élection des ministres que le descendant légitime sera écarté au profit d’un autre membre de la famille ».
Note : Document de la pagode Kompong Tralach Krom (KTK): Barommo-Soccarach (Borom Rama dans KTK), fils du roi défunt Lompong Reachea. Srey Soriyovong, (Preah Soryauvong dans KTK). Celui-ci avait libéré le pays de l’occupation siamoise. Il se proclama Roi pendant la guerre de libération et après la victoire, il fut à nouveau proclamé Roi par le Conseil de la Couronne. Son ascension au trône fut dans une circonstance trouble (thèse de M.G.Coedès). (Je renvoie les lecteurs à mes trois articles n° 3 et n°5 sur l’histoire des Rois Khmers et la monarchie ancienne khmère).
Ces cas, qui semble avoir l’exception aux règles de succession au trône, serviront cependant à justifier la règle postérieure d’un véritable droit au trône, droit qui n’est jamais établi de façon certaine.
Profitant de l’absence de textes précis fixant les règles de succession au trône, en 1906, le protectorat français procéda, après la mort du roi Norodom, à l’élection par le Grand Conseil du prince Sisowath, frère du roi défunt, pour empêcher le prince Yukanthor, héritier présomptif à la couronne, de prendre la succession de son père. Cette pratique avait la raison suivante : « Le prince Yukanthor avait osé venir en France pour se plaindre du colonisateur et cette protestation aurait révélé certains procédés abusifs de l’Administration coloniale française et certains fonctionnaires khmers au service du protectorat, tels que Oum et Thiuoun. Il est intéressant de citer les doléances du prince Yukanthor dans son mémoire adressé à Monsieur le Président du Conseil des Ministres et aux membres du gouvernement de la République française :
Cas de Oum :
« …Et aujourd’hui S.M. mon père et moi, nous sommes traités en ennemis par les représentants de la France. Et leur appui politique, ces représentants le cherchent auprès de lâches comme Oum ! de lâches qui sont en même temps des voleurs… ». « …Voilà ce que produit la puissance que votre administration directe, sans le Roi, contre le Roi, donne à des gens comme Oum, augmentation des impôts, augmentation des corvées, diminution de la sécurité, vexations de toutes sortes… ».
Cas de Thioun (alors l’interprète de la Résident supérieur) :
« …Ce métis (Vietnamien), appointé à quelques centaines de dollars, a gagné en quelques années une fortune qui lui permet de posséder au grand soleil pour plus de cent mille francs d’immeubles. Il a son tant pour cent sur toutes les opérations de Oum… et d’autres ».
En 1941, en raison de la préservation de sa puissance coloniale au Cambodge après sa défaite dans la guerre contre l’Allemagne hitlérienne, la France de Vichy, avaient utilisé de servir pour la deuxième fois les règles de succession sans textes pour écarter du trône le prince héritier, Sisowath Monireth, fils du roi défunt Monivong, pour mettre à sa place un jeune prince âgé de 19 ans, Norodom Sihanouk, né de la conjonction de sang de la branche de Norodom et celle de Sisowath. Cette alliance de sang était servi par la France comme argument pour justifier sans doute son choix. Mais la réalité est autrement : le prince Monireth était à l’époque plus mûr, instruit, réfléchi et savait peut-être profiter de l’affaiblissement de la France pour revendiquer l’indépendance pour son pays. En effet, l’élection de Sihanouk comme roi par le Conseil de la couronne, le 23 avril 1941 et couronné le 28 Octobre de la même année n’était que le diktat de l’autorité coloniale aux membres du Conseil de la couronne.
Le retour de la France au Cambodge en 1946 avec sa nouvelle doctrine coloniale (doctrine fondée, sur le principe d’association au lieu d’exploitation exprimée et d’assimilation politique et administrative pratiquée dans le Continent d’Afrique noire) avait obligé le Roi Sihanouk à octroyer le 6 Mai 1947 une Constitution au peuple khmer. Les articles 26 et 27 de cette constitution nous montrent bien que la France, en tant qu’État associé au royaume du Cambodge était très prudente en matière de règles de succession au trône, car elle reconnaît explicitement le droit légitime du roi khmer de désigner son héritier à la couronne. L’élection interviendra au cas où il y aurait absence de désignation d’un prince héritier par le souverain défunt. Voici les textes :
La constitution du 6 Mai 1947 (Titre IV – du Roi) :
Article 26 : Le Roi a le pouvoir, après réunion du Conseil de la couronne, de désigner un héritier au Trône ainsi que d’annuler cette désignation.
Article 27 : Au cas, où, alors d’une vacance du Trône, un héritier n’aurait pas ainsi été désigné par le ROI, la désignation du nouveau Souverain est effectuée par le Conseil de la Couronne à la majorité des voix, celle du Président étant prépondérante en cas de partage.
Article 28 : Le Conseil de la Couronne comprend : le Président du Conseil de la famille Royale, le Président du conseil des Ministres, le Président de l’Assemblée Nationale, le Président du Conseil du Royaume, les deux Chefs des sectes religieuses, le Président de la Haute Cour de Justice. La présidence de ce Conseil est confiée au Président du Conseil de la famille Royale.
Article 29 : La majorité du Roi est fixée à 18 ans. Si le Roi est mineur ou dans l’incapacité d’exercer ses prérogatives, celle-ci sera exercées par un Régent.
La constitution de 1993, laquelle est vue comme une perfection et une grande victoire pour les monarchistes, ramène en réalité la monarchie khmère à état insignifiant qu’elle n’a jamais connu dans son histoire et par rapport aux autres monarchies constitutionnelles existant actuellement dans le monde. Les articles 10 à 13 relatifs aux règles de succession révèlent bien cet état :
« La royauté est élective. Le Roi n’a pas le pouvoir de désigner son successeur parmi les membres de sa famille. Dans un délai de 7 jours au plus, le nouveau Roi est élu par le Conseil du Trône. La Roi est choisi dans la famille royale, parmi les descendants du Roi Ang Duong, Norodom ou Sisowath. La majorité du Roi est fixée à 30 ans.