Éditorial MOULKHMER
Moulkhmer n° 126, juin 1991
Et maintenant ?...
On a assisté, pendant la première quinzaine de Juin, à toute une série d’évènement assez surprenant, déconcertant même, en ce qui concerne l’évolution du problème cambodgien. Le point de départ de ces évènements remonte au 2 Juin lorsque le Prince Sihanouk, coutumier des volte-face les plus inattendues, s’est arrangé, d’une manière très personnelle, avec M. Hun Sen à Djakarta le jour même où débutait une nouvelle réunion du « Conseil National Suprême (C.N.S) » dans cette capitale. L’un et l’autre ont trouvé intérêt à conclure un accord au sujet de la présidence de cet organisme, accord qui a pris les représentants des autres factions au dépourvu. Cet accord a d’ailleurs été rejeté le lendemain même (3/6) par les Khmers Rouges. Le 4 Juin la réunion de Djakarta s’achevait donc par un échec, imputé à juste titre aux Khmers Rouges qui annonçaient le 6 Juin qu’ils avaient décidé de reprendre les combats suspendus depuis le 1er Mai grâce à un cessez-le-feu à peu près respecté.
C’est également le 6 Juin que le Prince annonçait à Bangkok, à la surprise générale, son intention de se rendre à Phnom-Penh en Novembre prochain – après qu’il aura reçu entretemps une visite de M. Hun Sen, qui doit venir à Pyongyang en Juillet. On apprenait ensuite que, malgré l’échec de Djakarta et la rupture du cessez-le-feu par les Khmers Rouges, les 4 factions cambodgiennes avaient accepté de se retrouver à Pattaya (Thaïlande) le 24 Juin pour tenter, une nouvelle fois, de parvenir à un accord entre elles. Et on apprenait aussi que les « 5 PERM », avec l’Indonésie et un représentant du Secrétaire Général de l’O.N.U, se réuniraient à Paris dans le courant du mois de Juillet. Ainsi tout paraissait bouger soudain, et même s’accélérer.
Entretemps avait eu lieu, à Paris également, une visite, théoriquement « privée » de M. Chea Sim, du 10 au 16 Juin, Président de l’assemblée nationale à Phnom-Penh, M. Chea Sim est considéré par les observateurs, depuis un certain temps déjà, comme « l’homme fort » ou le véritable « numéro un » de l’actuel régime cambodgien. En outre il s’agissait de son premier voyage en Occident et dans un pays du monde libre. Sa visite à Paris, marquée par des examens médicaux et surtout par les entretiens avec de hautes personnalités françaises, ne pouvait donc manquer de susciter d’intérêt que de curiosité.
Dans toute succession d’évènements, il était évidemment difficile de pouvoir s’y retrouver. Bien des questions restaient sans réponses, tout particulièrement en ce qui concernait la nouvelle volte-face du Prince Sihanouk qui parait, cette fois, vouloir vraiment se détacher de la coalition (l’ex-GCKD) pour passer dans le camp adverse. Avait-il, ou non, l’accord – au moins tacite – des Chinois ? Qu’en était-il de la position acceptaient soudain de venir à Pattaya ? Quel rôle avait pu jouer le Vietnam, et d’autres pays éventuellement, dans le spectaculaire rapprochement Sihanouk – Hun Sen ?
Et que devenait, dans tout cela, dans tout cela, le plan de paix de l’ONU, en panne depuis décembre dernier ? Enfin, les chances de voir se tenir un jour au Cambodge des élections réellement libres étaient-elles en train d’augmenter ou bien de diminuer ? Autant de question auxquelles il n’est pas aisé d’apporter des réponses.
Il semble néanmoins que l’on s’achemine, par des voix assez tortueuses, vers un règlement du problème cambodgien à plus ou moins brève échéance – éventuellement d’ici la fin de l’année ou au début de l’an prochain. Il apparait clairement, en effet, que les divers pays concernés, de près ou de loin, par le règlement de ce problème ne sont plus disposés à patienter indéfiniment ni à tolérer longtemps encore les interminables querelles des factions cambodgiennes. Le Prince Sihanouk, de son côté, parait s’être lassé de son exil doré à Pékin et Pyongyang. L’âge venant, il a visiblement envie de retourner à Phnom-Penh – même sans aucun pouvoir réel, mais avec un titre honorifique de « Président » ou de « Chef de l’État » qui satisfait son amour-propre. Enfin les Occidentaux ont reconnu, après de nombreuses visites officieuses à Phnom-Penh ces dernières années, que le Cambodge se trouvait à Phnom-Penh précisément, plutôt qu’à Pékin, à Thmâr Puok ou à Paris. Certaines conditions (mais pas toutes) étaient ainsi réunies pour que se produise une accélération du cours des évènements, marquée par quelques coups de théâtre que ne sont sans doute pas les derniers.
Les règlements final, fatalement, plus ou moins bancal. Il parait acquis, en tout cas, que le plan de paix de l’O.N.U ne sera jamais réalisé sous la forme qu’il avait encore en décembre dernier. Il sera modifié ou enterré, et les Khmers Rouges – honnis par la communauté internationale (sauf la Chine) – se retrouveront enfin marginalisés. Des élections auront probablement lieu au Cambodge en 1992, organisées par l’administration actuelle avec un certain degré de supervision étrangère ou onusienne. Seules les 4 factions existantes pourront y prendre part, sous une forme bipartite : le parti de Phnom-Penh et celui de la coalition adverse sous la bannière du Prince Sihanouk. Ces élections ne seront pas vraiment « démocratiques », faute de pluralisme véritable. L’impuissance des « nationalistes », depuis 12 ans, à s’organiser en une force cohérente et unie trouvera ainsi son inévitable sanction.
Rien de tout cela ne sera très réjouissant, mais autant voir la réalité en face telle qu’elle parait se présenter aujourd’hui. Une paix relative pourra d’ailleurs s’établir peut-être au Cambodge, et la reconstruction pourra débuter alors avec des aides étrangères, tandis que les Khmers Rouges isolés resteront dans les forêts comme à leur habitude. La démocratie attendra des jours meilleurs. Cela ne sera pas nouveau, du reste, puisqu’au Cambodge elle attend depuis toujours, sans avoir jamais pu encore réussir à naître.
MOULKHMER