Histoire de comprendre
L'esprit de Pol Pot...
Par Ou Chal
DEA de Philosophie
Ex-Secrétaire Général de Moulkhmer
Article publié dans la revue Moulkhmer, n° 163, Juillet 1998 - Valeur actuelle.
L’esprit de Pol Pot Es-tu toujours là ? Au Cambodge, pays macabrement lié au monstre Pol Pot, et au roi Sihanouk, respectivement auteur et complice de l’autogénocide (1975-79), l’âme de ce grand criminel et son emprise demeurent très vivaces. Tant que le polpotisme et le sihanoukisme ne sont pas morts, et continuent de diriger cet Etat, l’ère de démocratie et des droits de l’homme ne pourra jamais s’y établir. Et la révolution moderne, celle de la démocratisation, reste toujours à accomplir. Bref, plus d’un demi-siècle après l’accession de Sihanouk au trône, le Cambodge végète toujours dans le précipice. Et, vingt ans après l’arrivée des communistes vietnamisés au pouvoir en 1979, l’autogénocide demeure encore impuni ! La situation politique, économique et sociale y est étouffante. Dans le contexte explosif de l’Asie du Sud-Est, où le régime dictatorial et archi-corrompu de Marcos a été balayé, et où Suharto a été récemment écarté de la présidence, vingt ans de pouvoir royalo-communiste au Cambodge, ou, plus exactement, un demi-siècle la monarchie sihanoukienne, c’en est trop !
L’autogénocide banalisé :
Vingt ans après le crime, aucun pouvoir khmer n’a osé demander à la communauté internationale de le juger. Ses dirigeants sont trop occupés à s’enrichir personnellement. Ils passent leurs temps à s’autocélébrer. Quotidiennement, les journaux impriment des pancartes publicitaires vantant leurs mérites insignifiants, ou leur présentant des vœux d’anniversaire. Ces articles dithyrambiques sont payés par des flagorneurs de tous bords, qui ont bénéficié auparavant de bienveillances dans la corruption administrative : Octroi frauduleux de contrats, escroquerie financière…La flatterie s’accompagne de faveurs, de favoritisme et d’amnistie. Personne n’est surpris de la pauvreté de la population et du pays : Les dirigeants détournent et empochent l’argent d’État, l’absence de fiscalité sur les biens immobiliers (taxes foncières et impôts locaux…), qui frapperaient ces nouveaux propriétaires de terrains et villas spoliés après l’ère de Pol Pot. Sans une politique de fiscalisation et de redistribution de richesses nationales, tout le pays deviendra la zone de misère dans la mondialisation politique. Vingt ans après le génocide, la nation assiste encore à l’effort officiel de blanchiment du criminel ! Depuis 1993, l’histoire khmère est jalonnée de tollés contre ces amnisties, le pays se retrouve d’ores-et-déjà irréversiblement gouverné par des Khmers Rouges de tous bords. On connaît ceux qui ont profité de la première amnistie en faveur du troisième boucher Ieng Sary. L’opération de ravalement du crime et de banalisation se poursuit sans relâche. À la veille des campagnes officielles des élections législatives du 26 juillet 1998, Hun Sen a déclaré qu’il pardonnera à Khieu Samphân, si celui-ci lui livre Noun Chéa et Ta Mok. Khieu Samphân aura sa grâce et échappera à la condamnation en tant que principal rersponsable du génocide. Hun Sen se comporte étrangement comme un laveur de génocide. J’éprouve de la nausée, parce que Hun Sen, en tant que Khmer, et chef d’un parti politique dans ce petit Etat, distribue sans gêne des grâces aux bourreaux coupables de génocide sans consulter les victimes, et condamnés par la communauté internationale. Il méprise tout un peuple. Il encourage d’autres criminalités, et ne défend ni droit ni la justice. Il joue son rôle de défenseur du polpotisme. Quelques jours auparavant, il a grâcié les principaux Khmers Rouges « dissidents » de Ta Mok (à savoir Mak Ben, Thioun Thioeurn, Chan Youran, In Sophéap, Kor Bun Héng…). Historiquement, on peut d’ores-et-déjà qualifier 1979-1998 de période de ravalement, de banalisation et de bonification du génocide. En effaçant le passé, en s’associant à la mafia et en s’adonnant à la corruption, le pouvoir aggrave la misère de tout un peuple. Les ingrédients d’explosion social existant dans la région sud-est asiatique sont d’ores-et-déjà réunis dans ce système rayalo-communiste. Il y aura nécessairement la destitution des Marcos khmers, le limogeage des Suharto cambodgiens, ou l’emprisonnement des présidents à la coréenne. La politique de réconciliation nationale avec les criminels est une politique de ravalement des crimes. Pour sauver la monarchie sihanoukienne ? Pour pérenniser les pouvoirs des anciens Khmers Rouges et complices ? Le chaos khmer est toujours là, total et inextricable ! La justice n’y est pas indépendante. L’armée est clanique, indisciplinée et inefficace ; elle constitue un très lourd fardeau pour le budget de ce petit Etat. Elle est source d’instabilité politique pour le pays. Il n’existe plus de notion de service public dans l’administration. Il n’y a que la corruption, la mafia, et le laisser-aller du libéralisme sauvage. Quelques partis sont propriétaires des richesses du pays et une poignée de dirigeants détient tous les pouvoirs. Depuis 1993, aucun crime ou assassinat recensé par l’ONU n’a été élucidé. Où est passé l’esprit de démocratie, de justice et de valeurs humaines, entretenu lors de la première révolution républicaine ? Si les dirigeants ne veulent pas se rappeler du passé, ils ne seront pas capables de construire le présent. Car, sans mémoire, ils ne pourraient rien bâtir de solide. Cette nation en ruines, amnésique, et souillée par Pol Pot et Sihanouk a déjà perdu son identité. Les Cambodgiens éprouvent une grande honte devant cette dégénérescence ethnique et morale : l’esprit de Pol Pot continue insidieusement de diriger ce royaume. Après plus d’un demi-siècle de règne de Sihanouk, le pays est toujours banni par l’ONU, et n’est même pas capable d’organiser tout seul ses élections législatives. L’ONU a esquissé récemment la forme d’un Tribunal International pour juger tous les crimes futurs contre l’humanité. La communauté internationale a déjà mis sur pied trois tribunaux spéciaux pour juger les génocides en Allemagne, en Yougoslavie et au Rwanda. Récemment, la France a reconnu le génocide arménien, perpétré par la Turquie. L’autogénocide khmer, commis par une poignée de monstre aidés par un roi fou nommé Sihanouk, dépasse l’entendement humain. Un quart de siècle après, ce crime continue d’être blanchi par le complice, bonifié par ceux-là, même qui y ont participé et qui dirigent actuellement le pays. Le Cambodge ne sera jamais stable avec ces hordes de criminels impunis. C’est un devoir suprême pour les Cambodgiens de combattre pour la vérité du génocide, pour le mémoire des victimes et pour la stabilité du pays afin de pouvoir y bâtir leur avenir. Cette noble mission nécessite tout un programme : Référendum constitutionnel, mouvement libérateur, création d’institutions adéquates pour juger le crime. Sans cette perspective, la participation actuelle de trente neuf partis aux élections législatives du 26 juillet se révélera inutile, car après ce scrutin le chaos social, politique et économique continuera de plus belle !
Les dettes, les aides et la trésorerie de l’État :
L’État royalo-communiste fonctionne comme si sa trésorerie appartenait aux dirigeants des partis. Il n’existe pas d’institutions indépendantes pour contrôler les dépenses d’Etat. D’où la corruption impunie, l’inutilité et l’inefficacité des aides et prêts étrangers. Ces fonds se retrouvent détournés de leurs objectifs d’origine. Dans quelques années, l’État se retrouvera asphyxié, comme certains pays du tiers-monde, par le poids d’emprunts. L’essentiel de ces dettes n’a pas été utilisé dans la construction d’infrastructure ou dans des investissements productifs. Ces emprunts détournés alimentent la colère généralisée sociale et fragile la solidarité nationale. Il étrangle mortellement l’économie qui perd ainsi sa capacité d’adaptation et de modernisation. Lors des campagnes électorales, certains partis riches distribuent des pièces de tissus, du riz, du prahoc, du sel…aux électeurs. Du prahoc et du sel…avant les élections, en échange de corruptions impunies, quand ils seront au pouvoir ? Il faut démanteler ce régime et changer cette mentalité. Sinon, après les élections, tout redeviendra pareil !
La corruption et la fortune des dirigeants :
Au Zaïre, on continue de polémiquer, d’enquêter, et réclamer la fortune de Mobutu, accumulée au cours de son règne. Quotidiennement, des étudiants indonésiens réclament le jugement et la restitution des richesses détournées par Suharto et sa famille (plusieurs milliards de dollars). Les mêmes évènements se sont produits aux Philippines, en Corée du Sud. La dictature et la corruption ont toujours été la source de bouleversements politiques et sociaux, partout dans le monde. Le Cambodge ne pourra pas y échapper, car l’injustice y est de grande envergure. Le processus en est déjà enclenché, et arrivera bientôt à sa maturité. La société khmère vit actuellement sa phase de croisière de corruption et de criminalité. Rien ne pourra être résolu si on n’y instaure pas le système républicain. Car la banalisation du génocide, de la criminalité et de la corruption ne peut se développer impunément que dans ce système royalo-communiste.
L’opposition impossible :
La tradition féodale khmère n’a jamais permis à la classe politique de pratiquer la démocratie. Celle-ci suppose l’existence et la reconnaissance officielle de l’opposition. Cette démocratie n’existe que de façade, pour tromper la communauté internationale. Elle n’a jamais connu d’élections locales ou municipales. Sans bases de démocratie locale, et sans moyens, les véritables oppositions démocratiques ne seraient jamais viables. Il n’y aurait que des oppositions complaisantes. Pour jouir de la stabilité politique, il faut au préalable procéder aux élections municipales et locales offrant ainsi aux différentes oppositions l’opportunité d’exercer leurs compétences. Si elles perdent le scrutin législatif, au moins elles peuvent garder certains pouvoirs locaux. Hélas, au lieu d’organiser d’abord ces élections municipales, avant la fin de son mandat, le gouvernement mal inspiré a choisi de les oublier pour mieux frauder au scrutin législatif. Donc, il n’y aura rien de positif à attendre, ni démocratiquement, ni socialement. On peut qualifier ce scrutin de « mettre la charrue avant les bœufs ». On ne peut espérer qu’il aura la tenue d’un tribunal contre le génocide. Des pouvoirs successifs travailleront encore à faire oublier ce crime. Et, il y aura plus de corruption, plus d’enlèvements, plus de criminalités. Quoiqu’ils fassent ou qu’ils disent, les dirigeants khmers continuent d’agir sous l’emprise de l’esprit de Pol Pot. Ce qui se produit aujourd’hui en Indonésie, ou hier aux Philippines et en Corée du sud, aura lieu nécessairement au Cambodge.
L’étape républicaine :
Il y aura donc tôt ou tard une grande secousse démocratique pour mettre fin à cette dégénérescence. À travers le monde, seule la révolution républicaine a fait ses preuves dans sa mission de démocratisation. Des grèves et manifestations en sont les premiers pas. L’étape républicaine sera inévitable pour démanteler le régime antidémocratique, sans identité et sans mémoire. Elle prendra le temps, à cause de l’emprise de cette dictature et du degré de prise de conscience du peuple. La Corée du Sud a mis un demi-siècle avant de pouvoir emprisonner deux présidents de la république. Il en est de même des Philippines, avant le démantèlement de l’équipe et de la famille Marcos. La Thaïlande a également des révolutions à petites dosses. Elle a progressé sans trop de massacre de rue pour adapter ses Constitutions, et le Roi joue un rôle important et bénéfique, ce qui est contraire au Roi cambodgien qui joue un rôle néfaste pour la démocratie dans son pays. L’Indonésie a déjà entamé sa phase de bouleversement politiques et sociale. Au Cambodge, en retard de 50 ans sur ses voisins, sans ces premiers pas républicains, il n’y aura pas de bouleversements sociaux, démocratiques, bénéfiques et stables. Les dirigeants khmers actuels, à l’instar de leurs collègues régionaux, continuent d’accumuler d’énormes fortunes, par la corruption. Le premier gouvernement khmer juste et intègre sera celui qui osera bouleverser l’ordre actuel et juger tous les auteurs du génocide et les dirigeants corrompus. D’ici là, tous les gouvernements successifs demeureront aveugles, sans mémoire, sans identité. Le coup de force des 5-6 juillet n’était qu’un coup ambigu, sans idéologie, fonctionnant dans une logique de renforcement de pouvoir communiste aux dépens des monarchistes. C’était une affaire des royalo-communistes. Une fois dans l’impasse, le pouvoir s’est arrangé pour innocenter tout le monde y compris Ranariddh et le FUNCINPEC. Actuellement, l’armée indisciplinée et pléthorique s’est empêtrée dans le problème d’incorporation des soldats de Nkek Bun Chhay. Toutes les guerres cambodgiennes proviennent de ces forces armées. Ce coup inutile, sur fond de luttes pour le pouvoir, a été ramené à sa piètre signification par le Japon. Bref, il a déshonoré le Cambodge et le mal consolidé le pouvoir des protagonistes. Le Cambodge se trouve plus que jamais déstabilisé sur ces nouvelles bases. Chaque camp se retranche de nouveau dans sa sa position d’origine. Le pays est revenu à la même situation qu’avant 1993 où les Khmers Rouges gardaient leurs forces pour détruire la nation après les élections. En 1998, l’armée de Ranariddh sous la direction de Nhek Bun Chhay, adoptera la même tactique, tout en participant aux élections législatives. La seule solution valable pour le pays, c’est l’écrasement de ces rebelles par une représentative des valeurs républicaines. Sans cette perspective, les prochains aides ou prêts étrangers n’enrichiront que les voyous politiciens. Vingt ans après le génocide, les Cambodgiens se retrouvent toujours sans espoir d’avenir. C’en est trop ! Le changement de régimes ou de dirigeants, fût-il fréquent, par des mécanismes démocratiques, se révèle très nécessaire, tant sur le plan psychologique que moral. Sur le plan social et économique, ce serait vital et urgent. Un demi-siècle de règne de Sihanouk, c’est plus que catastrophique, surtout quand Sihanouk a été le complice du génocide de son propre peuple !
Le devoir des Cambodgiens :
Dans ce chaos moral, social, et de banalisation du génocide, tout Cambodgien a le devoir de combattre pour la vérité, pour préserver son passé, et rétablir la justice, pour l’honneur de sa nation et celui de l’humanité. Les criminels et leurs complices s’efforcent toujours de faire oublier l’autogénocide. L’avenir sera du côté de la vérité et de la justice, et l’Histoire jugera ces dirigeants criminels. L’ère de la grande autoroute de l’information l’aidera dans cette entreprise. Jusqu’à présent, les dirigeants khmers ne sont pas dignes de représenter leurs compatriotes, leur nation, ou leur culture d’origine. Ce ne sont que des profiteurs et complices du crime. La tâche de libération sera de longue haleine. Mais elle est très noble, et mérite d’être très bien remplie. La race khmère, sa nation et sa culture ne devraient pas s’identifier à la barbarie de Pol Pot, ni à l’imbécillité de la monarchie sihanoukienne.