Un Royaume pour trois Rois ou la guerre civile : Srey Reachea (1433-1485), Srey Soryautey (1471-1485) et Thomma Reachea (1478-1504). (suite du numéro 10)
2. Srey Soryautey (1471-1485) :
Revenons au prince Srey Soryautey, après sa retraite à Basane, ses généraux lui suggèrent de sacrer roi, parce qu’il fût le prince héritier. Après la mort du Noray Reachea, son père, il aurait dû prendre la succession du trône, mais le Conseil de couronne en avait décidé autrement. Cette décision était vue par les partisans du prince comme une décision illégale. Srey Reachea, le roi actuel, n’était donc à ses yeux qu’un roi usurpateur. Srey Soryautey acquiesça cette proposition. En 1471, le prince fut proclamé Roi, à l’âge de 26 ans, par ses généraux et les hauts dignitaires de sa Cour et porta le nom de sacre Preah Angkir Prean Srey Soryautey Reachea Thireach Rama Baromapith.
Après son couronnement, le Roi nomma les nouveaux gouverneurs de provinces sous son contrôle : Siem Bauk, Sambok Sambor, Kratie, Chlaung, Tchaug, Basane, Torteung Khay, Prey Veng, Baphnom, Romdoul, Svay Tirp, Rung Damrey, Prey Nokor, Long Hor, Cheûk Badek, jusqu'à la frontière du Champa, c’est-à-dire la partie nord-est du Cambodge actuel et celles du nord et du centre de la cochinchine.
Revenons au Krong Chatomouk. Ayant appris le sacre du prince Srey Soryautey à Basane, les partisans de Thomma Reachea, demandèrent à leur prince de faire autant que son oncle, mais, celui-ci y refusa disant qu’il préférait plutôt porter le titre de « Protecteur » que celui du roi. Les provinces sous son contrôle étaient : Samrong Taug, Bati, Leuk Dek, Trâng, Bantey Meas, Thporg, Bassac, Bavîr, Pêam, Koh Slaketh, (Leuk Dek d’aujourd’hui), Kampot, Kompong Som, Preah Trapeang, Kramuôn Sâr, Daung Nay, jusqu’à la mer, c’est-à-dire toute la partie sud-ouest, sud-est du Cambodge actuel et la partie sud de la Cochinchine actuel.
Nous allons maintenant parler du Srok Youn (le Vietnam d’aujourd’hui). Le Champa et le Srok Youn étaient en guerre depuis fort longtemps. Ensuite le Champa eut perdu la guerre, le Roi Yaun nomma un des princes du Champa, roi de ce pays et le plaça sous sa suzeraineté.
* Je renvoie les lecteurs à l’article sur l’histoire du Champa.
Note : le mot Youn vient du mot Pali, Yavana (étranger, barbare). Il faut noter que la langue khmère est influencée par celles de « Sanscrit » et de « Pali ». Les Cambodgiens utilisent le mot Youn pour désigner les Vietnamiens, comme étranger et aussi bien barbare.
Le sanskrit (nom local : saṃskr̥tam) est une langue
indo-européenne, de la famille indo iranienne, autrefois parlée dans
les sous contient indien. Certains mots sont encore utilisés par certaines familles de
brahmanes et certaines écoles spiritualistes. Il faut considérer le sanskrit, non comme une langue d'un peuple,
mais comme une langue de culture qui a toujours été l'apanage d'une élite sociale, du moins depuis l'Antiquité. C'est notamment celle des textes religieux hindous et, à ce titre, elle continue d'être utilisée, à la manière du latin aux siècles passés en Occident, comme langue culturelle, et véhiculaire (un recensement de 1981 indique qu'il y aurait encore environ 6 100 locuteurs ; en 1961, à peu près 194 400 personnes disaient l'utiliser comme langue secondaire). C'est d'ailleurs l'une des langues officielles de l'Inde.
Pali : est aussi une langue indo-européenne, de la famille indo-iranienne. Les premiers textes bouddhiques, Tipitaka, sont conservés dans cette
langue, qui est utilisée encore aujourd'hui comme langue liturgique dans le bouddhisme théravada en Sri Lanka, Birmanie, Thaïlande, Cambodge et Laos.
En 1472, Il y eut un Roi Cham, nommé Chao Raing Lak ou Baur Thoun, étant mécontent de la domination Youn, lança le révolte pour l’indépendance de son pays. Il ressembla un million hommes pour faire la guerre contre le Souverain Youn, nommé Lê Châch Tong. Mais, les offensives militaires des Chams furent vaines. Vu le danger, le Roi Cham envoya aussitôt un ambassadeur pour solliciter l’aide de Srey Soryautey. Celui-ci ne donna pas suite à cette requête, disant que son pays était aussi en guerre. Il n’avait pas donc les moyens pour porter secours à l’armée du Champa. Ainsi, l’armée de ce pays fut battue par celle des youn. Le Roi Cham fut déporté au Srok Youn. Les provinces conquises furent immédiatement annexées par les vainqueurs et quelques autres provinces, étaient placées sous le contrôle des mandarins youn avec à la tête un souverain cham sans pouvoir, nommé par le roi youn. Cependant, il y eut un grand nombre de la population Cham, y compris certains membres de la famille royale se réfugièrent au Kampuchea. Parmi ces réfugiés, il y eut des Chams, qui décidèrent de poursuivre leur chemin vers le nord, aux pays des Stiengs et Rodès, parce qu’ils eurent peur d’être poursuivis par les Youn jusqu’au Kampuchea.
Revenons à Srey Reachea. Il fit une demande par lettre à son frère, Thomma Reachea, pour qu’il lui envoyât l’épée royale et le sabre de combat, en métal pur, lequel
était utilisé par le roi sur sa monture de guerre. Thomma Reachea ne céda pas à cette demande, parce qu’il pensait que ces deux objets faisaient parties des éléments du sacre royal. En revanche,
il envoya à son frère, un gilet de protection en cuire du port et deux casques métalliques, ce qui mit ce dernier au comble de la fureur, disant que son frère se moqua de lui, parce que ce gilet
est déjà démodé. Srey Reachea ordonna à ses dignitaires de réitérer sa demande en vain auprès de son frère.
3. Thomma Reachea (1478-1504).
Revenons au Krong Chatomouk, les partisans du prince Thomma Reachea réitérèrent la demande à leur prince de couronner roi pour qu’il se mettait au même statut que son frère et son neveu. Cette fois-ci, celui-ci en accepta. En 1478, à l’âge de 26 ans, Thomma Reache fut proclamé roi par les généraux et dignitaires de sa Cour au Krong Chatomouk. Il porta le nom de sacre, Preah Bat Samdech Preah Angkir Preah Thomma Reachea Moha Chakrapath. Il éleva sa première dame au rang de reine. Celle-ci porta le nom de sacre, Samdech Preah Phakavatey Sérey Tepi Neary Chakrapath. En 1479, la reine donna au roi un fils, nommé Ponhea Damkath Rechea. Quant au Srey Reachea, il avait aussi un fils, nommé Ponhea Ong Reachea.
Cette année, il y eut un tremblement de terre. La secousse durait pendant cinq heures. C’était un phénomène exceptionnel pour le pays.
Cette nouvelle de couronnement de Thomma Reachea parvint à Srey Reachea. Il convoqua ses généraux pour les donner l’ordre d’attaquer Krong Chatomouk. Au même moment, il apprit que son neveu eut envoyé une armée pour attaquer ses garnisons dans les provinces, Stung Treng et Kompong Siem. Le contre-ordre de Srey Reachea était immédiat : Sa priorité, était d’envoyer les renforts aux deux provinces attaquées. Les batailles duraient plusieurs mois, comme il n’y avait ni vainqueur, ni vaincu, en 1479, l’année du rat, au mois d’avril, les deux rois décidèrent d’arrêter les combats pour se consacrer à la préparation de culture du riz.
La guerre civile entre les trois rois dura pendant dix ans, sans vainqueur, ni vaincu. En revanche cette guerre eut une conséquence catastrophique pour le pays. Pour cette raison, les trois rois se décidèrent de ne plus mener les opérations d’offensive contre les positions des autres. Chacun restait à sa position et régna sur son propre territoire.
Après trois ans de trêve tacite entre les trois souverains, Srey Reachea rompit cette pratique, il lança son armée contre celle de Srey Soryautey, mais sans remporter une victoire décisive. Cette nouvelle guerre, plongea à nouveau le pays dans la pauvreté et l’insécurité totale. On voyait apparaître des bandes d’armées de voleurs qui pillaient les villageois partout dans le royaume et des maladies qui sévissaient la population. Thomma Reachea en compatit et rassembla ses Moha Montrey (Grands dignitaires) et généraux pour leur dire ceci :
« Notre pays d'aujourd'hui est tombé dans les ténèbres. Le peuple souffre depuis fort longtemps de la guerre entre mon frère et mon neveu. En ce qui me concerne, j’avoue que je ne peux pas faire grande chose pour mettre fin à cette situation, parce que notre armée ne soit pas assez forte et nombreuse pour imposer la paix à ces deux belligérantes. Ils ont complètement perdu raison en tant que monarques, et se conduisaient tout le contraire des préceptes bouddhiques ».
Après quoi, il poussa un profond soupir et finalement, dit :
« Je ne vois qu’une solution, laquelle est d’aller solliciter l’aide du Roi du Siam pour régler notre guerre civile d’aujourd’hui. Que pensiez-vous de cette solution ? ».
Rappel : Thomma Reachea fut né de mère Siamoise, Preah Mneang Sisagame. Celle-ci, avant de devenir la première dame du Roi Ponhea Yat, était cousine et première dame du feu prince Indra Koma, prince siamois, couronné par son père, roi du Kampuchea en 1384, après la victoire de l’armée siamoise sur celle des Khmers. Elle était la fille de Khoun Troung Dân Moun, cousin de Ponhea Tekchau Krong Tep, haut dignitaire de la Cour d’Ayuthia (Siam).
Les partisans de Thomma Reachea, acceptèrent la solution proposée. Aussitôt dit, aussitôt fait, le Roi ordonna au Banchang Sara (Banchang = admirable, Sara =
lettres, Banchang Sara = l’écrivain admirable), de rédiger une lettre au Roi du Siam dans les termes suivants :
Preah Bat Thomma Reachea, Roi Krong Chatomoul à Samdech Preah Buddhi Chauv Reachea Chakrapâth, roi Moha Krong Tep Srey Ayuthia,
" Étant donné qu’actuellement dans mon Royaume, Krong Kampucheathipdei, sévissent le désordre et l’insécurité rendant soucieux les moines, les brahmanes et le petit peuple depuis plus de 10 ans ; étant donné que les rois, Srey Reachea, mon Auguste frère et Srey Soryautey, mon neveu, se donnent tous les plaisirs de faire la guerre pour leur ambition personnelle ; étant donné que la population des diverses provinces du royaume sous leur contrôle se voit pillée par des voleurs de grand chemin, faute d’avoir un souverain stable et fort. Moi, votre Aîné, roi du Krong Chatomouk, tous les Moha Montrey, les Montrey et les généraux de mon Royaume, vous demandent pour que vous veniez nous aider à pacifier notre pays, de protéger la religion, afin que la population puisse être heureux, grâce votre puissance et à vos mérites. Pour vous remercier de vos éventuels services rendus à notre pays, nous vous demandons de bien vouloir accepter de recevoir nos présents suivants : Quatre assiettes en or, quatre cornes de rhinocéros, quatre défenses d'éléphant, quarante Hol (nom d'une soie à motif), quatre Hap d'étoffe de soie (Hap, unité de mesure khmère pour les étoffes, un Hap = 60 Kgs)
Thomma Reachea dépêcha un Moha Montrey (haut dignitaire) khmer avec le message royal et les cadeaux d’usage à la capitale siamoise. Arrivés au Krong Tep, l’envoyé spécial khmer dépêché alla trouver le Ministre du palais qui le conduisit auprès de S.M. Moha Chakrapâth. Celui-ci ordonna qu’on traduisit le message du roi khmer. Ayant entendu le contenu de la missive, le Roi Moha Chakrapâth ordonna au général Ponhea Yauthir Nikar, Commandant en Chef de l’armée de terre d’envoyer 20 000 soldats au Kampucheathidei pour aider Thomma Reachea. L’armée siamoise franchit la frontière khmère par voie maritime pour débarquer à la province de Kampot (Peam et Bantey meas).
Dans le document « Histoire des Rois Khmers », tome III, déposé à la bibliothèque du palais royal sous le n° K 53-3, on écrit ceci :
Ayant appris que Thomma Reachea est né de mère siamoise, Le Roi Moha Chakrapâth était très content, et considéra ce dernier comme membre de la famille royale siamoise. Il convoqua les hauts dignitaires et les généraux pour leur dire ceci :
« Cette nouvelle est une aubaine pour nous, car il y eut quelques années, le Roi Srey Reachea était venu nous attaquer et enlever un grand nombre de notre
population pour l’amener dans son pays. La demande d’aide du Roi Thomma Reachea, mon Aîné, nous donnions une occasion de nous venger contre le Roi Srey Reachea et de libérer notre
population ».
Approuvé de ses hauts dignitaires, le roi siamois ordonna à un général de l’eau de partir par bateaux au Kampuchea en éclaireur avec 3 000 soldats. L’envoyé
spécial khmer faisait partie de ce voyage avec en main un traité militaire pour faire l’approuver par son Souverain (fin du récit dans le document K
53-3).
Le dimanche du 6 janvier 1485, à 9 heures du matin, le Roi Moha Chakrapâth, mettait son armure de guerre, monta sur le dos de son éléphant, ordonna à son armée de marcher vers le Kampuchea. Les troupes siamoises étaient commandées par 2 généraux de terre, Ponhea Moha Séna Samouhak Kralahom, Commandant en Chef du corps d’expéditionnaire, Chau Ponhea Chakrey Okgna Preah Klam Thipdai, Commandant des troupes de protection des flancs gauche et droite. L’armée siamoise pénétra à l’intérieur du Kampuchea par la province de Battambang.
Revenons au Roi Thomma Reachea, ayant appris l’arrivée de son ambassadeur extraordinaire, il dépêcha de l’accorder une audience royale. Ayant entendu les termes de traité siamois et approuvé de ses ministres, il ordonna au Moha Montrey, chargé des services généraux du Royaume, de commencer à l’installation des 3 000 soldats siamois dans la capitale, puis aux généraux de préparer des troupes pour partir rejoindre l’armée du roi siamois à Kiri Bârribor.
Le jour faste, se plaçant lui-même à la tête d’un millier de fantassins et de centaine de cavaliers, il se dirigea à la rencontre du Souverain siamois. Sur le dos de son éléphant, bien abrité par une triple cuirasse, Thomma Reachea, tint à la main droit un sabre dans un fourreau d’or, symbole du pouvoir martial du souverain, le cornac assis à l’arrière de la monture et un domestique au milieu portant le parasol. Il dirigea son armée jusqu’à Kiri Bârribor. Arrivé à cet endroit, il ordonna à ses troupes de camper pour attendre le roi siamois.
La rencontre entre ces deux souverains se ressemblait telle à une rencontre entre deux frères de sang. Le Souverain siamois s’adressa à son homologue khmer en l’appelant mon « Auguste Aîné » et le roi khmer lui répondit en l’appelant, mon « Auguste Cadet ». La confiance s’établit immédiatement entre les deux rois. Leur complicité se manifesta aussi. Après une journée de repos, le Roi siamois commença à s’entretenir avec le Roi Khmer sur les stratégies de pacification du Kampuchea. Première étape de cette opération était d’encercler le camp retranché du Roi Srey Reachea à Kompong Siem. Ayant appris la nouvelle, celui-ci convoqua les membres de son Conseil de guerre, au cours de cette réunion, il dit : « Que faire ? ». Son Premier ministre, Chao Vatulahâk Keo répondit au souverain avec son calme habituel :
" Étant donné que, nos soldats sont fatigués, parce qu’ils font la guerre depuis plus de dix ans déjà, étant donné, que nos vivres commencent à manquer pour nourrir l’armée, étant donné que, les attaques combinées entre l’armée siamoise et celle du prince Thomma Reachea, votre Auguste frère, contre la nôtre constituent une force colossale, étant donné que les troupes ennemies étaient fraîches, les nôtres qui ont tous mines caves. Votre Majesté, pour mon humble conseil, je pense que nous ne puissions pas aujourd’hui faire face cette offensive. Je suggère donc, à Votre Majesté de choisir la solution diplomatique, c’est-à-dire la « négociation » avec les ennemis au lieu de les répondre par la solution militaire,
Les paroles de Chao Vatulahâk furent contestées par des généraux présents à la réunion. Voici leurs arguments :
" Les soldats ennemis sont frais certes, mais ils n’ont aucune expérience aux combats. En revanche, nos soldats, malgré leurs fatigues, ils sont aguerris et dans toute la plénitude de leurs facultés pour abattre les ennemis. Nous faisons le serment de nous battre jusqu’à la mort contre ces ennemis pour la défense de Votre Majesté ".
Ayant écouté les arguments des deux parties, le cœur de Srey Reachea se balançait entre la thèse de sagesse et celle de guerre, mais, il savait que ces deux évocations se convertissaient vers un seul but, « Amour de la patrie ». En tant que responsable, il devait choisir une solution, parmi les deux conseils évoqués. Il y eut un silence mortuaire dans la salle du Conseil. Les hauts dignitaires, les généraux de terre et d’eau et les brahmanes, s’asseyaient convenablement sur le tapis brodé de fil de soie de couleur rouge et jaune, en face de leur monarque pour entendre sa décision royale. Srey Reachea poussa un profond soupir, dit :
« Notre pays est en guerre depuis fort longtemps. Le pays se trouve aujourd’hui dans une pauvreté extrême. L’insécurité est totale, les voleurs de grand chemin, qui sévissent les villageois jusqu’à dans leur maison. Cette situation fait souffrir notre population. Oui, mes chers généraux, je vous ai bien entendus tout à l’heure. Vous êtes tous assurément des braves, et personne ne songe à mettre en doute votre vaillance. Toutefois, laissez-moi vous dire, sans vous offenser que nous n’attendons rien à la solution de guerre, parce que la situation de notre pays d’aujourd’hui est complètement changée. Le Royaume est divisé en trois États concurrentiels, en plus, mon frère, travaille maintenant pour nos ennemis, il accueille leur souverain en grande pompe. Aujourd’hui, ils sont devant la porte de notre campement. Mes amis, je sais que vous êtes valeureux et je suis certain que nous pouvions encore affronter les troupes de nos ennemis, envahisseurs et rebelles, mais, il y aurait combien de morts encore et encore pour que notre pays retrouve la paix. Je décide donc de choisir la voie de négociation pour un seul but : Epargner la vie de nos compatriotes et de nos soldats. Dans cette négociation, nous allons imposer nos conditions à mon frère et au souverain siamois en trois points : 1. Arrêter immédiatement les hostilités militaires entre les trois parties rivales khmères ; 2. Régler les problèmes de couronnement. Sur ce point, nous allons demander au Souverain d’Ayuthia d’être notre arbitre ; 3. Signer un traité de paix avec le Royaume d’Ayuthia. Bien entendu, sur ce point, nous allons accepter de libérer les familles et prisonniers siamois, lesquels ont été enlevés par nous pendant la campagne du Siam ».
Approuvé de ses membres du Conseil de guerre, le Roi dépêcha un émissaire pour en informer Thomma Reachea. Celui-ci étant très content de la proposition de son frère, il en informa immédiation, à son hôte royal, le souverain siamois. Après discussion, ces deux alliés décidèrent d’en proposer au troisième prince khmer, Sreay Soryautey, avec une lettre d’invitation à réunion de paix et de conciliation entre les parties rivales khmères. La date de cette rencontre fut fixée le 9 février à Râug Torg (Aujourd’hui, on ne trouve, ni le nom, ni l’endroit. Il est fort probable qu’il se trouve quelque part dans la province de Kompong Cham). Ayant lu cette proposition, Srey Soryautey convoqua ses partisans pour en étudier. Après l’examen dudit projet, le Prince et ses ministres acceptèrent la proposition. Cette acceptation était motivée par les arguments suivants :
« Sur le 1er point : Depuis plusieurs mois, les trois armées ne se battaient plus. Sur le 2e point : Son frère, Srey Reachea est très âgé, quant au prince Thomma Reachea, il est moins âgé que lui. Si on devait prendre le critère d’âge comme d’ordre de succession du trône ; après la mort bientôt de Srey Reachea, le trône reviendra automatiquement à lui. Il peut donc attendre. Sur le 3e point : Cette proposition est raisonnable ».
Après quoi, Srey Soryautey donna sa réponse favorable à l’invitation du Souverain siamois et son neveu. Ceux-ci étant fort contents, ils firent construire une grande salle d’audience pour le roi siamois, laquelle était entourée par des palissades. À la date prévue, Srey Reachea arriva à Râug Torg avec les membres de son état-major et un petit détachement de cavalerie. Aussitôt arrivé, le Roi khmer fut invité par son homologue siamois pour un entretien privé. Dans la salle d’audience, il n'y eut que deux souverains qui s’assirent face à face à une bonne distance l’un de l’autre. Après échangés quelques mots d’accueil et de politesse. Mais à peine cet usage était-il terminé, le Souverain siamois prononça à l’adresse du Roi khmer ceci :
« Presque deux décennies, Votre Majesté fait la guerre. Votre désir d’aujourd’hui, c’est de mettre un terme aux conflits entre les membres de votre famille royale. Je vous en félicite, parce que cette décision est une bonne décision. J’ai le fervent désir de venir en aide à votre pays qui est dans un état de tristesse pour le bouddhisme. Comme vous aimiez bien cette religion, je vous invite donc à venir avec moi dans mon pays pour consacrer tout votre temps à y pratiquer. En ce qui concerne votre fils, Ponhea Ong, je l’amènerai aussi avec moi et je l’adopterai comme mon fils et il se mariera avec une de mes filles. Je n’ai rien de spécial à rajouter ».
Le souverain d’Ayuthia remercia, encore une fois, avec la plus grande civilité le roi khmer d’être venu, puis il se leva et quitta la pièce avec une satisfaction évidente. Mais juste à ce moment, on aperçut quelques gardes siamois qui, l’épée au clair, entrèrent dans la salle pour amener le roi khmer à un endroit inconnu. Après quoi, les partisans de Srey Reachea furent informés par un colonel siamois que leur roi eut accepté l’invitation de son Roi pour se rendre au Siam. Ayant peur d’être arrêtés à leur tour par les siamois, ces derniers quittèrent immédiatement les lieux pour retourner à Kompong Siem.
Parlons de Srey Soryautey, ayant appris que son oncle fut arrêté par le roi siamois, il en était fort content, disant qu’il sera désigné roi des Khmers, parce qu’il était plus âgé que Thomma Reachea, et si ce n’était pas le cas, il demandera au dernier de partager le pays en deux parties égales. Il était certain que ce dernier accepte au moins cette solution. Cet espoir n’était qu’un rêve pour lui, parce qu’il fut arrêté, à son tour, par le souverain siamois. Ayant appris de cette nouvelle, les partisans de Srey Soryautey se retirèrent de Raug Torg et retournèrent chez eux.
Après la victoire, Thomma Reachea, le nouveau souverain khmer et Preah Chau Chakrapath quittèrent Raug Torg. Arrivés à la province de Longvek, les deux souverains se réunissent pour la dernière fois, avant de retourner dans leur capitale respective, pour une cérémonie d’échanges de cadeaux, et suivi par un grand banquet. Thomma Reachea avait offert à son homologue siamois les cadeaux suivants : 180 kgs d’argent, 6 paires de défenses d’éléphant, 200 chevaux, 600 kgs d’étoffes de soie, 300 kgs de cotons, 300 pièces de Hol et de soie chinoise, 100 pièces de rubis et toutes les familles siamoises enlevées par l’armée khmère pendant la campagne du Siam.
En échange, le souverain siamois avait offert au souverain khmer les cadeaux suivants : un chapeau siamois en or, un plateau en or, une statuette d’un oiseau mystique (Krouth), une statuette de Bouddha, le support de plateau en or, une statuette d’Apsara, un sabre avec fourreau en or, un parasol, six plateaux, une étoffe birmane brodée (Sampot) en or, cents paires de défenses d’éléphant et une tabatière.
Le lendemain matin, ces deux souverains se séparèrent pour retourner auprès les siens. Avant de monter sur sa monture, d’un geste amical, le souverain siamois tapota le dos de son Aîné et dit, « Votre Majesté sera un bon roi ». Soudain, retentit le roulement des tambours de la victoire, les deux armées firent le mouvement pour suivre les cortèges royaux. Le roi siamois prit le chemin de retour en passant par les provinces Pursat, Battambang, Mongkul Borey, Reusay Sâch et Batrank. Le cortège royal siamois était accompagné par cinq Grands gouverneurs khmers (Gouverneur ayant le grade 10 Houpân). Jadis, le Cambodge avait cinq grands gouverneurs : Ponhea Dekchau, Grand gouverneur de Kompong Svay, Ponhea Sour Lauk, Grand gouverneur de Pursat, Ponhea Thomma Dekchau, Grand gouverneur de Baphnom, Ponhea Pisolauk, Grand gouverneur de Trâng, Ponhea Ar Choûn, Grand gouverneur de Tpaûk Khoum.
Arrivé à Batrank, le Roi ordonna à ses troupes de camper pour se reposer pendant trois jours. C’était à cet endroit, où Srey Reachea, ancien roi khmer meurt de tristesse et de lassitude. Depuis sa capture, il avait refusé de s’alimenter. Quinze jours après, Srey Soryautey meurt de maladie. Preah Chau Chakrapath ordonna aux brahmanes de célébrer les funérailles de ses deux prisonniers d’État en conformité avec la tradition des rois khmers.
Arrivé au Krong Tep, capitale d’Ayuthia, Preah Chau Chakrapath adopta Ponhea Ong, comme fils. Celui-ci portait le nom siamois, Preah Sothear Reach. Il épousera plus tard une des filles de son père adoptif.
Retournons maintenant au Krong Kampuchea Thipdei. Après la fin de la guerre, le Roi, Thomma Reachea lança une grande campagne de reconstruction du pays dans tous les domaines : Religieux, éducation nationale, administratif, militaire, finances et travaux publics. Et pour soulager la population, il décida d’exempter pendant trois années les impôts sur les individus et les taxes fonciers sur la capitale.
(Suite au numéro 12)